Curriculum 7
EXTRAITS D’UN POÈME
QUI N’A JAMAIS ÉTÉ ÉCRIT
Villes, pays, continents.
Je n’ai pas les dents blanches des grandes affiches
publicitaires.
J’apprenais à dessiner entre les lignes,
des lettres.
Je m’appliquais, comme une grande personne.
Maintenant;
j’écris ce que l’on appelle de la poésie.
Maintenant, j’ai un mal de ciel terrible,
et cette vie au bout des doigts.
Je n’ai vu
ni les Amériques, ni les Indes, ni l’Asie,
mais des hommes, avec des bras,
des femmes ventres,
des enfants dedans.
Je n’ai jamais vu Dieu ;
je me dis,
voilà cette Terre que j’habite, cette vie.
Voilà ces bras que j’ai,
je ne réclame que le droit de vivre.
Je prends la responsabilité de ne rien faire d’autre.
À l’heure où les Prisunic ouvrent leurs portes,
j’ai un horizon plein d’Espagne, de France,
d’Afrique du Sud et du Nord, d’Atlantique, Pacifique.
Apercevoir New York,
respirer Londres.
Une femme monte un escalier ;
je suis debout les coudes sur le bastingage,
une balle rebondit, bandit !
C’est une cathédrale rose qui lève les yeux au ciel.
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Paris.
Le soleil est au-dessus de toi.
Toutes les cloches vont sonner ;
quelle heure est-il à Caracas ?
Il est notre heure,
l’heure de tout le monde, de notre temps, de notre vie.
Et les cœurs aspirent et refoulent le sang du monde.
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C’est moi, derrière ma machine.
C’est mon portrait.
Vivre,
ça va,
je balance bien.
L’équilibre des mots, c’est fantastique.
Quelle route moderne;
c’est la Nationale 10 qui passe par Caracas, qui passe
partout.
C’est le pont du monde.
Notre-Dame de Paris,
Kilomètre zéro.
Notre-Dame de la Cité que la Seine a mise dans le nœud
de son mouchoir, pour se souvenir.
Se souvenir des hommes
à l’heure des dernières migrations.
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Paffff
le tampon du monde.
Paris des rêves et des réalités,
Paris escale du monde,
où les oiseaux ont tous les droits.
Ses oiseaux qui ont un si petit cœur et de si
grandes ailes.
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Je suis un homme à la verticale du soleil.
Un homme cloué,
avec des yeux,
des mains,
qui pense à toi.
Je parle de cela dans un poème.
Je parle de la couleur vivante
qui est un véritable et merveilleux gâchis ;
c’est la terre blé or, la terre bleu ciel, la terre mer,
la terre Greco, Cézanne, Van Gogh.
la terre Cruxent.
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Espaces.
Moteurs, explosions, joies, lumières
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Je pose ma main sur ton épaule.
Je te parle des hommes.
Je ne veux pas te parler de moi.
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La ligne d’horizon est la ligne idéale ;
le sexe est trop petit.
Il faut partir,
lacer ses souliers,
tout laisser sur place.
Je n’ai pas envie d’écrire;
Je n’écrirai pas, je n’écrirai rien.
La ligne d’horizon est la ligne idéale.
Labrador,
nous n’avons rien découvert.
Icare, nous n’avons rien inventé.
L’univers.
La roue.
La réaction.
Musique, archipel, éventail.
Paris a son accordéon,
dansent, dansent,
le soleil et la lune.
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Je suis un homme à la verticale de la terre.
À la verticale du paysage,
à la verticale de mes mots.
la sol la si fa mi ré do.
L’Atlantique, c’est l’envers du ciel.
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Aujourd’hui je ne parle que de cela.
Aujourd’hui.
C’est un grand éclat de rire, bruyant et sonore.
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Le ciel explose en bleu.
C’est l’aube,
c’est le vagissement d’un nouveau jour.
J’ai trente deux mille mots à ma disposition.
Je suis un homme neuf.
Le vers : La ligne d’horizon est la ligne idéale
est de Blaise Cendrars.
Curriculum 7 ( 1966)